Une faction politique qui se nourrit de colère et de division n’a pas pu profiter d’une olympiade réussie fondée sur la joie partagée
S Quelqu’un a choisi d’habituel est arrivé à l’extrême droite française pendant ces Jeux olympiques : elle s’est tue. Jordan Bardella, l’égérie du Rassemblement national (RN) qui partageait sa vie entre les réunions publiques et les plateaux de télévision avant que la torche olympique ne s’élève et n’éclaire la nuit parisienne il y a deux semaines, a quasiment disparu. Quand on parle encore de lui, c’est pour se demander où il a bien pu aller. Le sud de la France, peut-être, à moins que ce ne soit la côte amalfitaine, ou les deux.
Marine Le Pen serait en train de câliner ses petits-fils de cinq mois en Bretagne quand elle ne s’occupe pas de ses chats dans sa maison des Yvelines, rapporte Le Journal du Dimanche, proche du RN, qui rassure ses lecteurs : rien ne cloche : on sait que les dirigeants de l’extrême droite française ont toujours pris leurs vacances au sérieux. Ils se « regroupent » désormais après leur défaite au deuxième tour des législatives. L’équipe des réseaux sociaux de Marine Le Pen avait posté sur son compte X quelques tweets – six au total – de soutien et d’appréciation pour les succès les plus marquants de la délégation olympique française, et c’est tout.
D’un côté, le pays a connu la plus grande fête dont on pouvait se souvenir, à laquelle les grincheux de l’extrême droite avaient pris soin de ne pas être invités et à laquelle il était trop tard pour qu’ils s’introduisent . C’est la malédiction qu’ils ne peuvent pas exorciser : alors qu’ils se nourrissent de colère et de division, que faire quand tout le monde, sans distinction de nationalité, de sexe, d’âge, de religion ou d’absence de religion, de couleur de peau et – oui – d’orientation politique, s’amuse autant ? S’ils avaient participé à la fête, ils se trahis.
D’un autre côté, le chaos annoncé n’a pas eu lieu. Il n’y a pas eu d’embouteillages dans la capitale. Les transports publics ont fonctionné à merveille, malgré les sabotages qui ont fait dérailler le système avant même le début de la fête. Des dizaines de milliers de policiers ont été déployés pour assurer la sécurité des sites olympiques, ce qui, nous avions-on dit, garantissait de sérieux problèmes ailleurs. Pourtant, la criminalité a baissé pendant les Jeux. Quatre jours avant la cérémonie d’ouverture, le porte-parole du RN, Laurent Jacobelli, faisait partie de son inquiétude quant à l’éventualité de Jeux « sans public ». Il y a eu plus de billets vendus que lors de toutes les autres JO. Même la Seine s’est bien comportée au final. Tous les paris ont été gagnés, et ça fait mal.
Le paradoxe des patriotes du RN , c’est qu’ils ne peuvent pas se réjouir du succès de leur propre pays. L’amour que le reste du monde porte à Paris et à la France pour avoir organisé un tel spectacle devrait-il leur gonfler le cœur de fierté ? Mais non. La maire de Paris, Anne Hidalgo, est socialiste. Le judoka le plus aimé du pays, Teddy Riner, un serré Emmanuel Macron dans ses bras comme si lui et le président avaient gagné l’or ensemble.
Il y avait tellement peu de pailles à rattraper qu’un influenceur d’extrême droite, Damien Rieu, a tenté de faire tourner les choses en bourrique en nucléaire : « Sans le savoir, les Parisiens ont vécu dans [ce que] serait une ville dirigé par l’extrême droite : plus de vendeurs à la sauvette, plus de sécurité, pas de hordes de migrants. » Plus bizarre encore, la rumeur s’est répandue sur certaines plateformes d’extrême droite que le nouveau héros de la France, Léon Marchand, devait être l’un des leurs, puisqu’il avait posté sur son compte X des images de fleurs de lys (le symbole de la monarchie française, récupéré par l’extrême droite catholique fondamentaliste française). Ils n’avaient pas réalisé que ces fleurs de lys étaient une référence aux armoiries de sa ville natale, Toulouse.
L’extrême droite voulait que les Jeux échouent, mais ne pouvait le dire haut et fort ; et quand elle le murmurait ou recourrait à des insinuations, c’est elle qui échouait. Le triomphe de la boxeuse algérienne Imane Khelif, devant des milliers de spectateurs qui souhaitaient sa victoire à Roland Garros vendredi soir, après une dispute orchestrée par l’Association internationale de boxe qui a menacé de transformer les Jeux de Paris en un autre champ de bataille pour les guerres culturelles, en est un parfait exemple.
Nous garderons tous de ces Jeux nos plus belles images, nos plus beaux souvenirs, que ce soit le retour triomphal de Simone Biles, l’ippon de Riner, le tour d’honneur des heptathlètes animés par l’immense Nafi Thiam , Marchand nageant dans une eau d’une autre planète sur le 400 m quatre nages. Quant à moi, je n’oublierai jamais Valentin Madouas remontant les rues pavées de la Butte Montmartre vers une médaille d’argent inespérée, accompagné d’un chœur d’acclamations assourdissant – comme tous les autres cyclistes ce jour béni – la foule, dense de 10 personnes, comme elle l’avait fait pendant des kilomètres après l’entrée de la course dans la capitale, éclatant de joie et de chants, agitant des drapeaux de toutes les nations du monde.
Mon Dieu, que le sport peut être beau. Qu’il est précieux. Et qu’il est bon de montrer son amour pour les siens et pour son pays, quand cet amour n’est pas entaché par un sentiment de supériorité divine, de mépris ou de haine pour l’autre. Le drapeau tricolore dont se drapait les Le Pen de ce monde était à nouveau à tous, triomphalement, ainsi que la Marseillaise, qui n’avait pas été chantée avec autant de régularité et de ferveur depuis 1944. Les vrais patriotes avaient gagné.
Ces Jeux ne suffiront pas à eux seuls à combler les fractures qui existent dans la société française. Macron devra trouver un Premier ministre (Riner et Antoine Dupont ont été suggérés). L’extrême droite sera de retour, espérant le lendemain de la fête de tous les partis. Ce que les Jeux auront montré, cependant, c’est que ces fractures ne sont peut-être pas aussi profondes que nous les craignions, et que la plupart d’entre nous souhaitions qu’elles se résorbent. Cela suffira pour laisser un héritage.